vendredi 16 avril 2010

Interview de Corto Maltese

Interview de Corto tiré de l'ouvrage Pratt par Claude Moliterni

Corto Maltese : Je suis le fils d'une Gitane andalouse et d'un marin anglais. Je suis né le 10 juillet 1887 à Malte hors des cadres de la loi... Ma mère, la très belle et fameuse Niña de Gibraltar, qui était putain, ne s'est jamais intérogée sur les vertus du mariage...

...Oui, je suis un bâtard, pas le bâtard vindicatif qui cherche à prendre sa revanche sur la société, ni le traître des feuilletons, honteux de sa naissance illégitime... Je ne suis pas non plus le bâtard dont on découvre à la fin de l'aventure, grâce à une médaille qu'il porte au cou, qu'il est le fils du prince de l'endroit... Non, je suis tout simplement un enfant naturel, heureux d'exister... Mes parents, s'ils ne se sont pas inquiétés de mon éducation, m'ont légué un grand héritage... De ma mère, j'ai reçu l'amour de la liberté, la science des cartes, ces cartes magiques qui dévoilent les secrets de l'avenir et même du passé... et puis la musique, et plus particulièrement la guitare...

J'ai hérité aussi de ma mère le goût des couleurs... mon père n'a pas été moins généreux... quoique ses séjours fussent trop brefs lorsqu'il venait à Malte... Cet homme était originaire Cornouailles, terre de sorciers, de pirates, de fées, de corbeaux et de fantômes... Chaque fois qu'il me parlait, il me transmettait une parcelle de l'univers celtique qui était le sien...

...Pour ce qui est de l'instruction, celle que l'on donne dans les écoles, ce fut le rabbin de Malte, un des amants de ma mère, qui me la donna... Il m'a fait entrer gratuitement dans son collège hébraïque...

Mes lectures favorites, Joseph Conrad, R.L. Stevenson, Herman Melville, Jack London que j'ai rencontré dans ma jeunesse... Ces lectures m'ont incité à voyager... Mes dons magiques m'ont permis de lire plusieurs livres avant que ceux-ci soient écrits... Par exemple, les Junglemen, Terry and the Pirates... J'ai même vu des films... Là, je désirais y trouver des idées d'aventures...

Ma mère, la Niña de Gibraltar, était fière de moi... A quinze ans, je mesurais un mètre quatre-vingt... ma taille actuelle, j'étais brun, j'avais les pommettes saillantes et des lèvres épaisses... A cet âge-là, je portais déjà un anneau à l'oreille gauche... Ma mère, souvent, lorsque je rentrais le soir, je la trouvais sur les marches de l'escalier de pierre de la maison où nous vivions, elle fumait un long cigare et là elle me demandait à quel moment je comptais partir à travers le monde... puis elle prenait ma main et cherchait ma ligne de chance... Ma mère se désolait : "Quelles catastrophes, quels malheurs t'attendent, que cache cette paume lisse ? " Je lui répondais en riant : " Ne te préoccupe pas, Niña, ne t'en fais pas... La chance, je me la fabrique tout seul... " C'est ce jour-là que je pris un rasoir et, d'un coup de lame, sur ma paume gauche, à l'endroit où aurait dû sinuer la ligne de chance, je me suis fait un profond sillon sanglant... Ce jour-là, j'ai quitté Malte pour l'aventure.

Pendant de longues années, je n'ai pas écrit à ma mère... et puis, de passage à Hong Kong, j'ai écrit une lettre, une autre des Caraïbes... puis de Russie... Je lui racontais ma rencontre à Port Arthur avec Jack London, j'ai même rencontré un jeune homme dans un village du Caucase qui disait s'appeler Staline... Puis je ne lui ai plus écrit, elle me savait heureux... Je sais qu'elle a appris par un de ces marins de passage que j'étais le patron d'une goélette, Les Trois Saintes Maries... Cette goélette s'est fracassée quelque temps après contre les rochers dans les mers du Sud... Et puis un jour, un catamaran qui fendait les eaux au large des îles Fidji aperçut un homme à la mer... C'était moi... C'est comme ça que j'ai fait mon apparition dans la bande dessinée... Vous connaissez la suite.

Interview réalisée avec la complicité d'Alberto Ongaro.

2 commentaires:

  1. Hugo Pratt nous inspire toujours ...

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  2. Dommage qu'il n'existe pas en vrai le beau Corto...je l'adore !
    Merci Aldo pour le billet, toujours agréable à lire.
    a presto
    Danielle

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